Philippe Zaouati (Mirova) : « Nous ne voulons pas que les certificats biodiversité que nous allons créer puissent ensuite être échangés sur un marché financier »

Philippe Zaouati (Mirova) : « Nous ne voulons pas que les certificats biodiversité que nous allons créer puissent ensuite être échangés sur un marché financier »

Philippe Zaouati est le fondateur et directeur général de Mirova, société de gestion d’actifs axée sur la finance durable.

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            ▪ Philippe Zaouati (Mirova) : « Nous ne voulons pas que les certificats biodiversité que nous allons créer puissent ensuite être échangés sur un marché financier »

▪ Philippe Zaouati est le fondateur et directeur général de Mirova, société de gestion d’actifs axée sur la finance durable.

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En Afrique notamment, Mirova déploie le Gigaton, un fonds de dette à financement mixte qui vise à accélérer la transition énergétique dans les pays du Sud et émergents. Entretien exclusif avec son responsable, qui vient d’assister à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement au Kenya.

Vous étiez à Nairobi pour participer, avec la délégation française, à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement. Parmi les thématiques abordées : l’exploitation minière responsable et la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. Si l’Union européenne semblait en avance sur ces sujets, on assiste ces dernières semaines à un détricotage des initiatives responsables adoptées. Quelles sont les conséquences pour les investissements durables en Afrique ?

L’Europe a soufflé le chaud et le froid ces derniers temps. La loi sur la nature a été adoptée par le Parlement, c’est une bonne nouvelle. Mais la très mauvaise nouvelle concerne la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. C’est un énorme détricotage, un énorme retour en arrière. La CS3D, qui avait été discutée, votée et finalisée en trilogue, est bloquée au niveau du Conseil. C’est très problématique. On attend les prochaines semaines pour voir si la présidence belge réussira à trouver un compromis acceptable. Mais cela paraît de plus en plus improbable. Ce qui fragilise énormément la position de l’Europe dans les discussions internationales. Et qui montre très clairement qu’il n’y a pas de consensus aujourd’hui dans les pays européens sur des sujets comme le devoir de vigilance, les droits humains, etc.

Cela signifie que les investissements en Afrique dans le secteur des minerais et métaux critiques, un secteur courtisé par l’Europe, les États-Unis ou la Chine, ne se feront pas de manière acceptable ?

En l’état actuel des choses, clairement pas. Avec Mirova, nous investissons en Afrique principalement dans deux domaines, les énergies renouvelables, avec le solaire, et l’usage des sols, c’est-à-dire l’agriculture durable, la conservation, la reforestation. Nous ne sommes pas du tout engagés sur des sujets miniers. Pour autant, on ne s’interdit pas de regarder ce qu’il se passe et de s’interroger. Il ne faut pas être schizophrène. Pour développer les énergies renouvelables, il faut des minerais. Le problème, c’est qu’aujourd’hui les gros acteurs miniers ne répondent pas à nos exigences. On ne voit pas très bien où nous pourrions investir, quels sont les projets qui cocheraient toutes nos cases, c’est-à-dire avec un impact environnemental et social qui soit à minima non négatif. Il est aujourd’hui trop difficile de déployer de l’argent, selon nos critères, dans ce secteur des minerais et métaux critiques. Nous ne voulons pas subir une pression à l’investissement trop forte et être obligés de faire des projets que nous n’avons pas envie de faire.

La bataille pour ces nouvelles ressources a commencé. Et le positionnement de l’Union européenne sur ces questions va être clé. Avec la CS3D, on rentre dans le dur, on est face à une contradiction fondamentale que l’on n’arrive pas à résoudre : on se dit que l’on a besoin de minerais et de métaux critiques pour faire la transition énergétique, mais cela vient heurter nos valeurs et notre approche des droits humains et des impacts environnementaux. Toute la réglementation européenne, aujourd’hui, est en train de se confronter à cette situation-là. Même chose pour la loi anti-déforestation […]. Il est évident que certains autres acteurs géopolitiques n’ont pas les mêmes visions.

Il faut tenir la ligne ?

Il faut absolument tenir la ligne, mais trouver un moyen de traduire cette ligne en modèle économique qui nous permette d’être des acteurs majeurs sur ces sujets-là en tant qu’Européens. Parce que si c’est une ligne qui reste une ligne théorique et philosophique, elle ne sert pas à grand-chose, parce qu’elle ne sert qu’à nous éloigner de ces marchés et à les laisser à d’autres.

Le financement des projets environnementaux et de biodiversité est une autre thématique majeure pour le continent africain. Quelle place pour les crédits carbone dans les solutions de financement ?

Les besoins en investissement sont considérables. L’argent public est évidemment insuffisant ; il y a donc besoin de trouver de l’argent privé pour financer les projets, qui peuvent être très divers. Ces projets portent sur la reforestation, l’agriculture durable, l’agroforesterie, la transformation des usages, la conservation et la restauration d’écosystèmes existants. La finance mixte (blending finance), qui permet de « dérisquer » les projets, est une solution qui associe des grands donateurs, des gouvernements et des banques d’investissement apportant une partie de l’investissement avec des fonds de pension, des compagnies d’assurances, etc., apportant le complément. C’est ce que nous faisons depuis dix ans à travers le fonds pour la restauration des terres, à travers le fonds pour les océans durables, à travers le nouveau Gigaton sur les énergies renouvelables. C’est une première voie qui est plutôt utile là où il y a un modèle économique, un modèle économique certes insuffisant pour attirer les capitaux privés, mais quand même un modèle économique existant. Malheureusement, cette finance mixte avance beaucoup trop lentement pour plein de raisons. C’est très compliqué d’aller chercher l’argent public, les donateurs mettent un temps fou pour décaisser et donner leur accord, y compris des structures qui ont été fabriquées pour cela, comme le Fonds vert pour le climat. Ces structures sont extrêmement lourdes d’un point de vue administratif et bureaucratique. Mais c’est une voie qu’il faut continuer d’explorer.

La seconde voie consiste à aller chercher de l’argent directement auprès de grandes entreprises parce qu’elles ont un business model avec des impacts négatifs sur la nature, et souhaitent compenser ou contribuer. Pourquoi ces entreprises vont-elles vouloir donner de l’argent pour compenser ? Il y a deux raisons : soit parce qu’on les oblige à le faire, ce qui correspond à un schéma de conformité ; il s’agit typiquement des marchés de crédit carbone obligatoire. La seconde raison, potentiellement plus intéressante, avec un volume également important, c’est la partie liée à des engagements volontaires. Or de plus en plus d’entreprises ont pris des engagements pour devenir « net zéro » à l’horizon 2040-2050. C’est une tendance liée à toutes les obligations de transparence, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) en Europe, notamment. D’où la naissance de ces marchés de crédit carbone volontaire ou de crédit biodiversité volontaire. En théorie, c’est effectivement une très bonne solution. Le problème, c’est qu’en pratique ces marchés sont très mal organisés, hyper-fragmentés, avec des problèmes de qualité et d’intégrité majeurs, avec des variations de prix très élevées. On va trouver des crédits carbone à 3 $, puis d’autres à 50 $, avec des cobénéfices biodiversité ou sociaux faibles.

Avec Mirova, nous avons complètement réinventé en quelque sorte ces marchés carbone pour essayer de les rendre plus impactants, plus intègres. Nous avons convaincu de grandes entreprises, comme Orange, L’Oréal, Kering, L’Occitane, Publicis et d’autres, de nous confier de l’argent pour financer des projets qui vont générer des crédits carbone, mais qui sont avant tout de bons projets complets, de conservation, de restauration ou de reforestation, avec des impacts environnementaux et sociaux. Des projets qui font travailler les communautés locales. On regarde de façon très précise l’impact sur la biodiversité. C’est ce que l’on essaie de faire sur le carbone, mais cela veut aussi dire accepter d’en payer le prix. Que les entreprises acceptent de payer le crédit carbone non pas à 3 $ mais plutôt à 12 $, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Sur la biodiversité, nous en sommes au tout début. La complexité est plus grande. Il y a une certaine fongibilité sur les projets carbone. Il y a zéro fongibilité des projets de biodiversité et il ne faut pas qu’il y en ait. Nous avons une position très forte pour dire que nous ne voulons pas que tout cela se transforme en un marché financier. Nous pensons que la finance a un rôle à jouer, mais nous ne voulons pas que l’on s’échange à tout va des crédits biodiversité, avec des traders qui feraient des marges, avec de la spéculation, cela n’aurait aucun sens. Nous militons pour un marché qui soit un marché de financement d’infrastructures de la nature, sur lequel des financiers puissent venir comme intermédiaires entre un acheteur final, l’entreprise qui veut compenser et des porteurs de projets locaux. Mais nous sommes opposés à tout marché secondaire, par exemple. Nous ne voulons pas que ces certificats biodiversité, que nous allons créer, puissent ensuite être échangés sur un marché financier quelconque.

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